L’esprit du débutant
Par Nolwenn Huyart – ActivMag avril 19 – Illustration : Sophie Caquineau
« Pour Shoshin, l’esprit du débutant, chaque instant est neuf, frais et particulier. Quelles que soient les circonstances extérieures. Cette attitude nécessite de garder un esprit curieux et ouvert, comme celui d’un enfant. »
La coupe est pleine
Un célèbre maître de zen reçoit un jour la visite d’un homme qui déclare vouloir étudier avec lui. Le maître l’invite à boire le thé pendant que le visiteur lui expose son passé, lui décrit son cheminement spirituel, ses découvertes, ses réflexions et nomme les maîtres qu’il a côtoyés.
Le maître écoute patiemment et recommence à lui verser du thé dans sa tasse déjà pleine.
Celle-ci se remplit à ras bord et finit par déborder, le thé coulant tout autour. L’élève s’écrit alors « Que faites-vous ?! Ma tasse est déjà pleine ! » Et le maître lui répond « Comment voulez-vous qu’un enseignement pénètre votre esprit alors qu’il est déjà plein comme cette tasse ? ». Notre expertise, ou notre expérience, nous permettent d’avancer et parfois de ne pas refaire les mêmes erreurs. Toutefois, la force des habitudes, du « su » et du « connu », nous limitent au point d’en perdre souvent notre capacité à être surpris. A cause du besoin irrésistible et humain de tout étiqueter, classifier, comparer, saisir, faire l’expérience du moment tel qu’il est, des personnes, des choses, des situations tels qu’ils sont, devient un vrai défi.
Rafraichir l’esprit
Le Maître Zen Shunryu Suzuki* explique que « dans l’esprit du débutant il y a de nombreuses possibilités, dans l’esprit de l’expert il y en a peu. Qu’est-ce qu’un esprit de débutant ? C’est un esprit ouvert, un esprit vide, un esprit prêt. » Si cette aptitude est nécessaire et est renforcée lors de la pratique méditative, elle est aussi nettement profitable à notre vie de tous les jours, et notamment dans nos relations. Nous avons l’habitude de « fonctionner » avec des opinions, des vues forgées au fil de notre existence, des certitudes et aussi des préjugés. L’esprit du débutant consiste à demeurer humble et curieux face à une circonstance qui, peut-être, reflète nombre d’aspects différents, selon notre façon de la percevoir. Plutôt que d’avoir des idées toutes faites à propos de notre collègue de travail ou notre voisin, nous essayons de nous laisser surprendre par quelque chose qu’on n’avait pas vu avant : au niveau physique, la couleur de ses yeux, mais aussi de découvrir une de ses capacités, voire qualités.
Avez-vous vu l’arbre ?
Avec le temps, nous prenons pour acquis ce qui fait partie de notre existence. L’esprit du débutant peut être cultivé à tout moment. Ce trajet empreinté tous les jours a-t-il tout montré ? En prêtant une attention aiguisée, on sera sans doute surpris de ne pas avoir remarqué jusqu’alors cet arbre poussant dans le talus. Les enfants font cela naturellement. Ils s’émerveillent d’un bâton ou d’un papillon, ils ont le pouvoir de contempler l’extraordinaire dans l’ordinaire en sortant de leur mode de faire machinal. L’aventure de la vie recèle, à tout moment, d’expériences que nous pouvons décider d’appréhender d’un certain point de vue ou d’un autre. La pratique méditative apprend à lâcher-prise, à renoncer au résultat en faisant l’expérience de ce qui apparaît tel que cela apparaît. Dans les épreuves de la vie, l’esprit du débutant est la possibilité de nous extraire de nos automatismes de pensée et de nos réactivités émotionnelles en faisant face à ce qui se présente, sans ajout.
Il s’agit de vider la tasse pour la remplir différemment.
Biblio : « Esprit zen, esprit neuf » de Shunryu Suzuki-Ed. Points Sagesses